A Valeureux, les habitants valorisent les arbres
Après la chute de Jean-Claude Duvalier, la zone de Valeureux, 4e section communale de Desarmes (Artibonite), faisait face à un épineux problème de déboisement. Mais, grâce à Fénèque Guilbert, un habitant de la zone qui a produit et distribué des plantules à grande échelle, la situation est aujourd’hui nettement moins délicate. Les habitants coupent certes des arbres pour survivre mais sans jamais s’arrêter de planter.






Comprendre l’importance que les arbres ont dans l’environnement haïtien n’est pas seulement le fait de gens bardés de diplômes. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Fénèque Guilbert livrer ses impressions sur ce sujet vital pour des millions de paysans. Ce père de six enfants n’a pourtant terminé que sa troisième année fondamentale. « Quand je parle d’environnement, on m’écoute. Certains pensent même que je suis agronome, dit-il avec le sourire. J’aurais bien aimé exercer ce métier, car j’aime la nature, mais mes parents n’avaient pas les moyens... » Grâce à la vision de Fénèque, Valeureux a aujourd’hui une allure bien différente de celle qu'elle avait après le départ de Duvalier en 1986, alors que les mornes des alentours conservaient encore une partie de leur couverture végétale, qu’ils perdront toutefois au cours des années subséquentes. C’est en constatant le véritable massacre fait aux arbres que Fénèque Guilbert, aidé de son bon ami Louis Exalème et d’autres paysans, met sur pied en 1999 sa première pépinière.
Bien vite, ça devient une passion pour lui, qui passe l’essentiel de son temps à entretenir sa pépinière. Cela ne plaît pas à sa femme qui lui demande, perplexe, ce qu’une telle activité peut bien lui rapporter. Mais Fénèque garde le cap, arrosant méticuleusement chaque jour ses milliers de plantules d’acacias, d’orangers, d’avocatiers, d’acajou, etc. Peu à peu, voisins et visiteurs se rendent compte que cette passion, qu’il partage avec l’ensemble de la communauté, a des retombées positives pour tous. Et dans ce qui était naguère un quasi-désert pousse aujourd’hui une multitude d’arbres parmi lesquels dominent les espèces agroforestières.
Depuis plus de dix ans, l’Organisation des jeunes progressistes de Valeureux (OJPV), dont Fénèque Guilbert est le fondateur, s’adonne à la production de plantules et les distribue gratuitement par centaines aux membres de la communauté. « Nous allons même dans les églises pour sensibiliser les gens à l’importance des arbres, explique Fénèque qui travaillait auparavant comme chauffeur de tap-tap. Nous formons également les habitants sur le mode de production et d’entretien. » Il y a quelques années, l’association – qui produit plus de 20 000 plantules par an – distribuait entre 200 et 250 plantules gratuitement à chacun des membres de la communauté, composée de 460 familles. Chacun possède sa petite forêt d’acacias, plantée aux bords d’une rivière pour en protéger le sol. « Mais si jamais une personne voulait par exemple se procurer 4 000 plantules, elle devrait en payer plus de la moitié, parce que nous devons avoir quelque chose dans notre caisse pour continuer le travail », souligne Fénèque Guilbert, dont l’intérêt pour la production de plantules lui est venu après avoir visité un projet similaire à Gressier, au sud de Port-au-Prince. « Les arbres, c’est la vie », lance l’ancien chauffeur de transport en commun, montrant du doigt sa petite forêt sur l’autre rive d’une rivière.
Cette vie dont parle Fénèque a plusieurs dimensions, notamment économique. En effet, les arbres sont l’une des principales sources de revenus des habitants de la zone. Ils vendent le bois utilisé pour les coffrages et la production du charbon. « On peut couper un acacia et une dizaine de tiges vont repousser toutes seules par la suite. C’est le grand avantage que nous offre cette espèce », confient à l’unanimité les membres de l’OJPV. Ce qui est certain, ce que tout le monde ici comprend l’importance d’avoir des arbres. « Ils nous permettent de mieux respirer. C’est bon pour la santé. Et, avec la chaleur, les arbres nous protègent contre le soleil », indique Esther Geffrard, 18 ans, déjà très active dans la pépinière. « Parfois, nous transformons le bois en charbon, mais nous plantons toujours des arbres en grande quantité, soutient, de son côté, Sultamène Fervilus, 40 ans. J’ai beaucoup d’arbres chez moi. Un environnement sain, c’est moins de risques de maladie. » A l’école communautaire de Valeureux dirigée par Ovilamar Monert, qui est aussi le numéro un du conseil d'administration de la section communale (Casec), les écoliers ont droit à des cours sur l’environnement. « Nous estimons que ces cours sont très importants, avance M. Monert. Nous organisons parfois avec nos écoliers des journées de reboisement. C’est ainsi qu’on a reboisé le morne Séjour. »
Des propos qui vont droit au cœur du principal intéressé, critique envers les gouvernements qui se sont succédé depuis quelques décennies. « Les autorités interviennent beaucoup plus à la radio que sur le terrain, commente sèchement Fénèque Guilbert. Sinon, l’environnement du pays ne serait pas si dégradé ! »