Décès Duvalier: la diaspora outrée par les propos de Martelly
À l’occasion de la mort de l’ex-dictateur, Jean-Claude Duvalier, l’actuel président d’Haïti, Michel Martelly a exprimé sa tristesse et a salué la mémoire d’un « authentique fils d’Haïti au nom de l’ensemble du gouvernement et du peuple haïtien». Ces propos ont soulevé l’indignation des victimes du régime Duvalier dans la diaspora.
Le photographe, peintre et auteur, Gérald Bloncourt, qui vit en France, n’a pas caché sa colère tant sur sa page Facebook que sur son blog et sur le journal français en ligne Mediapart, suite aux propos tenus par le président Martelly suite au décès de Jean-Claude Duvalier : « l’actuel président d’Haïti, Monsieur Martelly, ami de l’ex-dictateur qui a tout mis en œuvre pour entraver le procès de Duvalier, l’a invité dans des manifestations officielles, continue de manifester son soutien à des actes qui sont considérés comme des “crimes contre l’humanité”», dénonce-t-il. « Il s’est permit de déclarer ce qui suit au nom de son gouvernement » :
« Au nom de l’ensemble du Gouvernement et du peuple haïtien, je profite de cette triste circonstance pour transmettre mes sincères sympathies à sa famille, à ses proches et à ses partisans à travers le pays ». M. Martelly a appelé ses compatriotes à saluer « le départ d’un authentique fils d’Haïti, en dépit des querelles et des divergences. L’amour et la réconciliation doivent toujours vaincre nos querelles intestines. Que ton âme repose en paix», a-t-il dit sur son compte Twitter.
Gérald Bloncourt dénonce « avec la plus grande fermeté ces propos qui sont une insulte grave à la mémoire des milliers de victimes de la dictature ! Notre combat n’est pas terminé ! La lutte contre l’impunité triomphera ! », s’est-il exclamé.
Gérald Bloncourt a milité aux côtés du célèbre écrivain Jacques-Stephen Alexis, arrêté, torturé, et exécuté par les Tontons macoutes de François Duvalier. Ce sont deux des principaux leaders de la révolte d’étudiants et de jeunes intellectuels de 1946, connue sous le nom des « Cinq Glorieuses » qui a aboutit au départ du Président Elie Lescot. Tandis que plusieurs de ses camarades sont arrêtés et éventuellement relâchés par l’armée qui a pris le pouvoir, Bloncourt, lui, est arrêté et expulsé immédiatement d’abord vers la Martinique puis vers la France. Depuis, il n’a cessé de dénoncé la dictature en Haïti.
Suite à l’annonce du décès de l’ex-dictateur, Gérald Bloncourt a déclaré que Duvalier « aura échappé à la justice. Poursuivi pour “crimes contre l’humanité” il évite le verdict qui aurait été prononcé de toute évidence contre lui. Saluons la mémoire des 60.000 victimes qui ont connus les cachots, la torture et les exécutions, durant son règne et celui de son père. La lutte n’est pas terminée. Il reste encore des complices et des assassins en liberté. »
La communauté de Montréal sous le choc
La communauté haïtienne de Montréal a aussi été choquée par les propos du président Martelly. La présidente-directrice générale de Montréal International, Dominique Anglade, fille de l’écrivain Georges Anglade et de l’économiste et féministe Mireille Neptune Anglade, tous deux morts en Haïti lors du séisme de 2010, a déclaré comprendre que la diaspora haïtienne réagisse avec colère à ces paroles.
« Quand on sait que des milliers d’Haïtiens ont disparus pendant cette dictature, que les familles ont été déplacées, que l’élite a quitté le pays, ces propos sont inimaginables. [...] Jean-Claude Duvalier est mort d’une crise cardiaque comme un homme normal. Comme s’il avait passé toute sa vie à travailler et payer ses impôts. C’est quand même particulier qu’un être comme lui puisse finir sa vie aussi simplement, sans aucune conséquence », a-t-elle affirmé à la Presse.
Le géographe, homme politique et écrivain canadien, d’origine haïtienne, Georges Anglade était un opposant farouche au régime de la famille Duvalier. Il a été emprisonné en 1974 et exilé à deux reprises pour ses convictions politiques, en 1974 et 1991. Il a passé une grande partie de sa vie adulte en exil au Québec.
Dans les années 1990, il a été conseiller et ministre des travaux publics dans les gouvernements de Jean Bertrand Aristide et René Préval. En 1994, il a présidé la Conférence Politique Internationale de Miami, qui initie le retour à la démocratie en Haïti. En 1996, il est nommé associé à la recherche à l’Université de Berkeley, en Californie, puis il retourne à Montréal.
En 2010, il meurt, ainsi que sa femme Mireille, lors du tremblement de terre d’Haïti alors qu’il était sur place pour participer au 2e festival Étonnants Voyageurs.
De son côté, la directrice générale de la Maison d’Haïti, Marjorie Villefranche, n’a pas caché sa surprise suite aux propos de Michel Martelly :
«Si [M. Martelly] a écrit ce message sur Twitter, c’est probablement qu’il était un ami de Duvalier. Que demande-t-il, alors ? La réconciliation ? Même en Afrique du Sud, où il y a eu réconciliation après l’apartheid, les gens n’ont pas pardonné aux criminels, à ceux qui avaient tué. Les assassins, on les a jugés», a rappelé la directrice générale de la Maison d’Haïti, encore sous le choc de la nouvelle.
La famille de Marjorie Villefranche a elle aussi fui Haïti «sous le régime de terreur instauré par le père de Jean-Claude Duvalier, François».
«Je suis arrivée au Canada à l’âge de 12 ans. Vivre sous la gouverne de Duvalier père, c’était vivre dans la terreur. En plus d’avoir instauré un régime dictatorial, il avait instauré un climat de terreur comme celui qu’on voit parmi les organisations terroristes islamiques», a-t-elle affirmé à la Presse.
«Quand Duvalier fils, Jean-Claude, a pris le pouvoir, il a un peu adouci les méthodes, mais ça n’a pas duré. Vers la fin de son règne, c’était la même chose. Il avait installé cette même terreur».
NancyRoc.com avec Mediapart et le journal La Presse de Montréal
PHOTOS :
Dominique Anglade: www.courrierlaval.com
Marjorie Villefranche : www.journaldestmichel.com