Frédéric Gérald Chéry diagnostique les crises dans l’économie nationale

L’atelier de travail sur la problématique de la mesure de l’emploi en Haïti, organisé à Pétion-Ville les 14 et 15 novembre en cours, a été une occasion pour l’économiste Frédéric Gérald Chéry de partager ses analyses sur la crise que connaît l’économie nationale. A travers son intervention portant sur « la crise des secteurs productifs et prédominance de l’emploi informel dans l’emploi total », il a identifié le secteur informel comme l’un des obstacles à la création d’emplois formels.

L’économiste Frédéric Gérald Chéry
Francis Concite
×
 
1 / 1
 
 
 
 
 
 
1
 
 
 

« Quand on dit crise dans l’économie haïtienne, il faut se demander de quelle économie parlons-nous ? Car nous avons une économie dont le Produit intérieur brut (PIB) le plus élevé est fixé depuis 1980. Nous ne sommes pas encore parvenus à faire redémarrer l’économie nationale. Donc, quand on dit crise dans l’économie haïtienne, il s’agit d’une économie qui a été mise en place entre 1950 et 1980. Une économie agricole sur laquelle s’étaient greffés des grandes entreprises avec des monopoles et le secteur de la sous-traitance», a expliqué l’économiste Frédéric Gérald Chéry à le première journée de l'«Atelier travail sur la mesure de l'emploi» organisé par l'IHSI avec l'appui du Ministère de l'Economie et des Finances (MEF). Cette économie agricole générait des devises et créait également un marché à partir de la vente du café. A partir de ce marché, les entreprises allaient vendre les produits qu’elles fabriquaient. Les évolutions du PIB des manufacturiers et les recettes de café allaient dans le même sens. Quand les recettes augmentaient, le PIB l’est aussi et quand c’est le contraire, c’est pareil pour le PIB », a poursuivi M. Chéry.

A en croire ce dernier, l’un des problèmes posés dans l’économie haïtienne s’explique par le fait que les biens salariaux sont quasiment inexistants. « On importe environ 50% des produits que nous consommons. C’est-à-dire, les biens servant aux besoins des salariaux ne sont pas produits dans l’économie haïtienne », a constaté l'économiste qui souligne que c’est le secteur agricole qui soutenait le secteur manufacturier. Tout cela pour dire que toute crise dans le secteur agricole a des répercussions sur le secteur manufacturier. « Nous sommes dans une impasse depuis 1980 parce que nous ne pouvons pas renouveler les savoir-faire pour créer une autre économie », a-t-il constaté.

Les crises dans l’économie haïtienne

Au cours de son exposé, l’économiste Frédéric Gérald Chéry a précisé qu’il y a trois types de crises avec cette économie. D’abord, il existe une crise sociodémographique. « Cette crise s’installe du fait que, dans une économie agricole, il y a une tendance nataliste. Il y a cette mentalité, chez nous, selon laquelle les enfants constituent des richesses pour l’économie nationale. Pourtant, plus tard, les enfants deviennent un poids pour l’économie puisqu’ils n’arrivent pas à être réinsérés dans celle-ci. »

La deuxième crise se trouve dans le partage des revenus. Celle-ci s’explique, aux dires de M. Chéry, par le fait que la quantité de produits par habitant ne cesse de baisser. D’un autre côté, explique-t-il, il faut des investissements. Pourtant, pour rémunérer les investissements, il faut prélever sur les salaires. Par conséquent, dans ce type d’économie, il ne peut y avoir d’emplois formels. « Des entreprises préfèrent évoluer plutôt dans le secteur informel parce que : il faut payer moins - il ne faut pas payer pour les soins de santé – il ne faut pas déclarer à l’Office national d’assurance (ONA) et à l’Office d’Assurance, Accident du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA). C’est ainsi que certaines entreprises tirent le revenu capital. Ensuite, les taux d’intérêt sont trop élevés.

En Haïti, il y a des taux d’intérêt qui montent au-delà de 30%. Pourtant, dans une économie qui se développe, les taux d’intérêt se fixent aux environs de 3 à 4%. Dans notre cas, il est plus facile de commercialiser que d’investir. » Il y a aussi la condition des biens salariaux dont il faut en tenir compte, de l’avis de l’économiste. C’est la troisième crise qui existe dans notre économie. Les biens salariaux sont, en termes de quantité, trop limités. Sans compter les industries manufacturières qui ne produisent pas pour les ouvriers mais pour la concurrence externe. C’est le même cas avec le secteur agricole. Les paysans produisent pour nourrir leur famille et s’il y a un surplus, ils le versent sur le marché. Ce n’est pas une production faite pour la classe ouvrière. « La politique qu’on a initiée en 1986 qui se traduit par la libéralisation du commerce extérieur a conduit les entreprises manufacturières au bord de la faillite par rapport à la concurrence externe. Il y a aussi le problème d’énergie qui n’est toujours pas résolu pour faciliter la production dans ces entreprises. Donc, on ne produit pas tout bonnement », a soutenu Frédéric Gérald Chéry.

Les investissements, le processus administratif et le système fiscal

Pour l’économiste, il est important de distinguer les différents types d’investissements. « Il y a des investissements qui améliorent le revenu du capital sans améliorer les revenus du travail. Dans ce type d’investissement, il ne peut y avoir de production des biens salariaux. Il y a aussi ceux qui permettent d’améliorer à la fois les revenus du capital et la production des biens et services. Ceux-ci permettent d’améliorer les ressources salariales et d’aller vers l’emploi formel .»

Plus loin, l’économiste a décrit le processus administratif dans le pays comme un processus qui fait perdurer le secteur informel. « Il y a actuellement un ensemble d’aides allouées aux entreprises en formation. Avant 1986, il y avait la protection et, de nos jours, il y a la franchise. Cette politique industrielle permet d’avoir une entreprise mais non pas de renforcer un secteur d’activité. Pourtant, c’est la politique du renforcement des secteurs qui permettra d’avoir l’emploi formel », a affirmé l’économiste Frédéric Gérald Chéry déplorant le fait que les différents dirigeants du pays privilégient toujours les grands investisseurs et ignorent les petits investisseurs. « On ne peut pas développer le salariat dans le secteur formel avec des produits importés. Car plus la production diminue, moins il est possible d’avoir des ouvriers dans le secteur de production », a martelé Frédéric Gérald Chery qui a aussi posé le problème du système fiscal en Haïti. « Le système fiscal tel qu’il est conçu permet de prendre sans donner », a-t-il révélé. Pour étayer sa thèse, l’économiste a fait savoir que le système doit offrir des avantages qui inciteront les entrepreneurs à se déclarer.

A titre d’exemple, il a avancé que si, dans le système fiscal, il était question qu’une fois l’entreprise est déclarée l’entrepreneur bénéficie d’une mutuelle de protection sociale, toutes les entreprises manifesteraient l’intérêt pour se déclarer. En outre, il a estimé qu’il peut y avoir aussi des contraintes pour porter les entreprises à se déclarer. Dans le cas contraire, il peut y avoir aussi un ensemble de mesures qu’on peut adopter pour faire reculer le secteur informel, conclut Frédéric Gérald Chery.

Le Nouvelliste

 
Jeanty Gérard Junior