Jacques-Édouard Alexis : Se dédouaner par l’amnésie
16/07/2014 12:19
L’ancien Premier ministre et dirigeant politique Jacques-Édouard Alexis cherche à se frayer un nouveau chemin sur la scène politique à l’approche des prochaines élections. Ce qui serait légitime. Mais choisir l’amnésie pour arme de combat, ça devient marrant. Nous sommes au temps des médias libres et dynamiques des nouvelles technologies où les archives sont à portée de souris. Où la dynamique 2.0 permet à chaque citoyen de choisir ses nouvelles et de réagir à dessein. Chacun va devoir affronter son histoire récente et à chaque fois. En s’en prenant au Premier ministre Lamothe et au président Martelly aux Gonaïves pour se positionner en alternative, l’ancien Premier ministre est en effet revenu sous les projecteurs ce week-end pour simplement provoquer la colère des lecteurs. Même celui qui serait un tantinet critique envers Martelly-Lamothe n’en revient pas.
Jacques Édouard Alexis ? Encore lui ? En effet, le seul Premier ministre, ( avec Michelle D. Pierre-Louis), à avoir été démis de ses fonctions après interpellation pour son incapacité à faire face aux problèmes de base du pays a commis l’erreur de nombre de politiciens haïtiens d’après 86 , en sous- estimant la dimension des évènements et l’importance du parcours de chaque acteur aux yeux de la majorité silencieuse. Ainsi, il devient urgent d’énumérer les derniers souvenirs de celui qui était dans les coulisses de décisions dès le début des années 80 et avec un règne continu de 1991 à 2008 comme maitre à penser d’un système générateur de mal développement. Nous n’irons pas jusqu’au temps de la peste porcine.
Quoique c’est quand même son péché capital que le peuple haïtien ne peut pardonner à cet ancien fonctionnaire de Damien. Il a fait couler encore de l’encre à l’Université d’État ou à l’Éducation nationale et a été chassé à maintes reprises par de violentes manifestations d’étudiants nationalistes. Celui qui a liquidé dans des termes choquants les entreprises publiques dans une réforme «made in FMI» et qui a suscité le plus de colères chez les antinéolibéraux et les jeunes de son temps se veut aujourd’hui nationaliste. A faire rire les cochons créoles. Alexis allait rentrer dans l’oubli, par la petite porte, lors du choix de Préval et de INITE du jeune Jude Célestin. Pour Préval, il était temps d’enterrer cet ami embarrassant et ambitieux, poussé vers la démesure par une épouse obsédée par le Palais national. INITE n’avait aucune chance de gagner avec un fonctionnaire entaché de tant de malédictions et aussi inefficace qu’Alexis. Aujourd’hui, Alexis, qui a passé plus de temps comme Premier ministre, ministre de l’Éducation et conseiller spécial des présidents Préval et Aristide, donc le symbole de la débâcle de l’ancien régime, veut se refaire une santé régionale et choisit pour cible le chef du gouvernement d’efficacité et d’ouverture, Laurent Lamothe.
Wrong number.
Alexis a pu manigancer son jeu pour récupérer la Primature au retour de Préval et façonné lui même l’échec de ce régime populaire en étant incapable de donner des résultats concrets malgré les faramineux fonds dépensés. Pour comble, le pays entier s’était levé en mars 2008 pour demander son départ de la Primature et son arrestation pour gabegie. Cela a abouti aux fameuses émeutes de la faim qui nous ont mis encore plus à mal dans la presse mondiale. Ce qui a le plus dégoûté le président Préval au lendemain de cette catastrophe, c’est l’annonce de manière légère du déblocage de nouveaux fonds par Alexis : 400 millions de gourdes du Trésor public, selon Le Nouvelliste de l’époque, pour la mise en place de restaurants, des travaux d’assainissement (curage de canaux) et la création de petits emplois. Nada. En fait, cet argent est distribué dans les bidonvilles à travers les fameuses bases pour mater, en vain, le soulèvement populaire. Jacques-Édouard Alexis a par ailleurs annoncé la réalisation d’autres programmes pour réduire le coût de la vie avec 90 millions de gourdes dans la production agricole.
Jacques-Édouard Alexis a parlé également de 23 millions de gourdes qui ont servi à un programme de cantine scolaire et 21 millions pour l’établissement de restaurants universitaires. Nada et les fonds ne seront jamais retracés. Même ses amis n’en croyaient pas leurs oreilles et dormaient littéralement lors de l’interpellation au Parlement. Le président Préval aurait confié, ce jour-là, à un autre conseiller qu’Alexis, à cause de son amour du pouvoir, avait perdu la tête. Dans une conférence de presse le 4 avril 2008, Alexis annonce dans un autre registre et dans la confusion totale, le déblocage d’une autre enveloppe de 65 millions de gourdes qui sera allouée à l’assainissement et une autre de 400 millions à un programme de microcrédit qui passera par la Banque nationale de crédit (BNC) et les caisses populaires.
Nada.
En réalité Alexis cherchait à distribuer de l’argent pour marchander avec les parlementaires dans la perspective de l’interpellation. Tout l’argent débloqué est parti en fumée et le Parlement renvoie Alexis dans la plus totale humiliation. Pour signifier son appui à son limogeage, au moment où Alexis subissait les assauts de la rue et des parlementaires, le président Préval rencontrait des potentiels fournisseurs de produits alimentaires au palais et c’est cette rencontre qui a été retransmise sur la TNH. Pas l’exécution d’Alexis. Personne ne voulait plus entendre parler d’Alexis. C’était la fin d’une saga de malheurs structurels pour ce pays. Pour Lavalas. Mais tout l’argent accumulé par Alexis a été galvaudé dans une minable campagne présidentielle perdue d’avance. Il n’était même pas parmi les 10 premiers. Il est aigri. C’est cet ex-Premier ministre, Jacques-Édouard Alexis, qui se dresse en correcteur contre l’administration Martelly ? C’est bien lui qui appelle à la mise en place d’un front commun contre le Premier ministre Laurent Lamothe, dont l’ascension à la présidence serait « une tragédie pour le pays »?
Non Monsieur Alexis, ce pouvoir est le contraire de ce que fut le vôtre et il est la matérialisation même des revendications qui vous ont balancé dans l’oubli. Et avec les faibles moyens existants, Haïti gardera ce momentum et l’effort de développement pour réparer les dégâts structurels de votre temps va se poursuivre. Qui ferait front commun avec Alexis aujourd’hui ? Est-il sourd ou aveugle devant les résultats obtenus dans tous les domaines depuis 2011 ? On a plus d’encre à perdre à parler du symbole de l’échec et de la corruption et comme l’a souligné le porte-parole du Premier ministre dans ce même article : « La population l’avait mis hors jeu lors des émeutes de la faim de 2008. Les résultats catastrophiques obtenus lors des élections de 2010 » l’ont mis dehors.
Henriot Jean-Jacques/Le Nouvelliste