Le frère Francklin Armand, un religieux dévoué à la cause des paysans
20/12/2013 13:52
Agé de 66 ans, le frère Francklin Armand a été distingué pour sa contribution au développement des lacs collinaires dans le pays, la semaine écoulée, lors du quatrième briefing de la PROMODEV. Le fondateur de la congrégation des Petits frères de l’incarnation (PFI) et celle des Petites sœurs de l’incarnation (PSI) a exprimé sa jubilation. Sous le coup de l’émotion, il a fait un récit de sa vie.
Surnommé paysan de Dieu, le frère Fracklin Armand a toutefois vu le jour dans un milieu citadin : Port-au-Prince. Dès l’âge de huit ans, il avait une première idée de la dure réalité de la vie à la campagne. Ainsi, la pauvreté rurale apparaît, pour lui, une réalité qui dépasse la fiction. Il s'est replongé dans son enfance pour établir une différence entre Port-au-Prince, la capitale, et le monde rural. « Du temps jadis, il n’était permis à une personne de circuler à Port-au-Prince sans mettre des chaussures à ses pieds, de cracher en pleine rue, de porter des vêtements déchirés etc. Pourtant, ce que j’avais observé en arrivant à la campagne, pour la première fois de ma vie, à l’âge de huit ans, était différent. Les paysans portaient des vêtements déchirés; Ils n’étaient pas soucieux de leur hygiène corporelle. Avec les maisons qu’ils avaient, ils n’étaient même pas à l’abri du soleil », rappelle le frère Armand, ajoutant avoir constaté l’existence de deux pays dans un pays. Un constat alarmant jugé anormal par le fondateur de la congrégation des Petits frères de l’incarnation.
A dix-sept ans, Armand suivait sa vocation et choisissait d’appartenir à un ordre religieux. L’année prochaine, il marquera ses cinquante ans de vie religieuse. Arrivé à maturité, le frère Armand dit avoir une nouvelle compréhension de l’évangile. « Nous étions des esclaves quand nous faisions connaissance de l’évangile. Quand j’y pense, cela me tourmente. Car le maître avait pris des précautions de ne jamais parler à l’esclave de l’économie, de peur que ce dernier réclame le partage des denrées. Il ne lui parlait pas aussi du social afin d’éviter à l’esclave de revendiquer ses droits d’aller à l’école, d’être hospitalisé dans un hôpital quand il est malade. On ne parle pas de politique à l’esclave pour qu’il ne s’interroge pas sur sa place dans l’organisation de la cité. Donc, l’esclave n’avait pas droit à la vérité», mentionne celui qui est connu sous le surnom paysan de Dieu.
« Il est difficile de trouver une bonne réponse si on demande à quelques responsables religieux : quelle relation existe-t-il entre l’évangile prêché et l’économie ? L’économie est la base de l’existence humaine. Il n’existe pas de pensée religieuse si elle n’est pas étayée par une pensée économique. Sinon, c’est la tromperie. Tout comme il n’y a pas de pensée économique si elle n’est pas soutenue par une pensée politique. Pour plus de clarification, je vous réfère à Max Weber. Si vous lisez cet auteur, vous allez comprendre quand il affirme que le système capitaliste sortait du système judéo-chrétien », affirme le frère Armand dans son discours au moment de recevoir la plaque d’honneur qui lui est décernée par l’organisation Promotion pour le développement (PROMODEV).
Au moment de s’installer dans le Plateau central, il y a quarante ans, dit le religieux, les paysans ne disposaient que d’une roue. Il n’y avait pas d’eau potable, d’école et des eaux pour l’irrigation dans le milieu. Comme religieux, il n’était pas bien accueilli par les paysans. « Les paysans nous disaient que les religieux ne vivent pas en milieu rural. Les religieux ont leur place dans les grandes villes. Ils nous qualifiaient de communistes et les macoutes d’alors nous avaient interdit d’aller auprès d’eux», explique-t-il, précisant qu’un incendie a été à la base du développement de sa relation avec les paysans. Sa congrégation a aidé les paysans à arrêter un incendie alors que ces derniers n’avaient pas trouvé de l’aide ailleurs. Tambour battant, les membres de sa congrégation devenaient un modèle pour les paysans. « Les paysans se disaient que si les gens de cette congrégation se mettent ensemble quoiqu’ils n’aient aucun lien de parenté, nous aussi, nous pouvons faire comme eux », explique-t-il.
Agissant par osmose, des petites organisations paysannes ont vu le jour. Leurs premières revendications, c’était d’avoir des écoles. La congrégation avait pris des années pour observer les gens avant de passer à l’action. « Aujourd’hui, nous comptons six écoles primaires facilitant la scolarisation de trois mille enfants ainsi qu'une école secondaire et technique, déclare le frère Francklin Armand. Ensuite, nous avons construit un lac collinaire dans la cour de la congrégation. Tout autour du lac, nous avons cultivé des légumes. Les paysans venaient acheter des légumes lors de la première récolte. Ensuite, nous avions décidé de ne pas vendre les légumes et du coup opter pour la construction d’un lac dans la communauté pour les paysans. Avant, les paysans nous considéraient comme des fous qui creusaient des trous d’eau. Nous avons procédé ensuite à l’ouverture d’une école agricole. Avec le succès des premiers lacs collinaires construits, nous avons décidé de multiplier d’autres lacs collinaires dans le Plateau central grâce à l’appui de l’Union européenne, de la FAO, de la coopération espagnole et du ministère de l’Agriculture. »
Au bout du compte, le programme de construction des lacs initié par le frère Armand est devenu Programme national des lacs collinaires (PNLC). « Quand sous la présidence de René Préval le gouvernement s’apprêtait à réaliser un programme de lacs collinaires, le chef de l’Etat a suggéré aux ministères de la Planification et de l’Agriculture de soutenir mon programme. C’est ainsi qu’il est devenu le PNLC », indique le religieux, ajoutant qu’aujourd’hui plus de 200 lacs collinaires sont déjà construits à travers tout le pays. « Nous avons construit à Saint-Michel de l’Attalaye le deuxième plus grand lac du pays après Péligre. « C’est un lac qui s’étale sur quatorze hectares à trente mètres de profondeur et avec deux millions de mètres cubes d’eau », précise-t-il en soulignant que les gens pratiquent la pisciculture et la culture maraîchère dans les communautés où sont construits les lacs.
Depuis quelque temps, le frère Francklin Armand met le cap sur la potabilisation des eaux au niveau des lacs. Le traitement se fait par ultrafiltration. Dans le Plateau central, son programme dispose d’un système à partir duquel il rend potable environ 53 mètres cubes d’eau par jour. Donc, selon M. Armand, il y a de l’eau potable disponible pour 5 000 personnes. Plus loin, il ajoute que le programme commercialise l’eau potable.
D’un autre côté, le fondateur des PFI et PSI a énuméré toute une série de réalisations additionnelles. « Nous avons créé une école d’entrepreneuriat agricole qui recrute chaque six mois 120 étudiants. Nous comptons aussi cent entreprises agricoles », a indiqué le frère Francklin Armand, dédiant sa plaque d’honneur aux paysans, à l’Eglise catholique et l’Etat haïtien qui supporte les congrégations autochtones.
Le Nouvelliste/Jeanty Gérard Junior
Surnommé paysan de Dieu, le frère Fracklin Armand a toutefois vu le jour dans un milieu citadin : Port-au-Prince. Dès l’âge de huit ans, il avait une première idée de la dure réalité de la vie à la campagne. Ainsi, la pauvreté rurale apparaît, pour lui, une réalité qui dépasse la fiction. Il s'est replongé dans son enfance pour établir une différence entre Port-au-Prince, la capitale, et le monde rural. « Du temps jadis, il n’était permis à une personne de circuler à Port-au-Prince sans mettre des chaussures à ses pieds, de cracher en pleine rue, de porter des vêtements déchirés etc. Pourtant, ce que j’avais observé en arrivant à la campagne, pour la première fois de ma vie, à l’âge de huit ans, était différent. Les paysans portaient des vêtements déchirés; Ils n’étaient pas soucieux de leur hygiène corporelle. Avec les maisons qu’ils avaient, ils n’étaient même pas à l’abri du soleil », rappelle le frère Armand, ajoutant avoir constaté l’existence de deux pays dans un pays. Un constat alarmant jugé anormal par le fondateur de la congrégation des Petits frères de l’incarnation.
A dix-sept ans, Armand suivait sa vocation et choisissait d’appartenir à un ordre religieux. L’année prochaine, il marquera ses cinquante ans de vie religieuse. Arrivé à maturité, le frère Armand dit avoir une nouvelle compréhension de l’évangile. « Nous étions des esclaves quand nous faisions connaissance de l’évangile. Quand j’y pense, cela me tourmente. Car le maître avait pris des précautions de ne jamais parler à l’esclave de l’économie, de peur que ce dernier réclame le partage des denrées. Il ne lui parlait pas aussi du social afin d’éviter à l’esclave de revendiquer ses droits d’aller à l’école, d’être hospitalisé dans un hôpital quand il est malade. On ne parle pas de politique à l’esclave pour qu’il ne s’interroge pas sur sa place dans l’organisation de la cité. Donc, l’esclave n’avait pas droit à la vérité», mentionne celui qui est connu sous le surnom paysan de Dieu.
« Il est difficile de trouver une bonne réponse si on demande à quelques responsables religieux : quelle relation existe-t-il entre l’évangile prêché et l’économie ? L’économie est la base de l’existence humaine. Il n’existe pas de pensée religieuse si elle n’est pas étayée par une pensée économique. Sinon, c’est la tromperie. Tout comme il n’y a pas de pensée économique si elle n’est pas soutenue par une pensée politique. Pour plus de clarification, je vous réfère à Max Weber. Si vous lisez cet auteur, vous allez comprendre quand il affirme que le système capitaliste sortait du système judéo-chrétien », affirme le frère Armand dans son discours au moment de recevoir la plaque d’honneur qui lui est décernée par l’organisation Promotion pour le développement (PROMODEV).
Au moment de s’installer dans le Plateau central, il y a quarante ans, dit le religieux, les paysans ne disposaient que d’une roue. Il n’y avait pas d’eau potable, d’école et des eaux pour l’irrigation dans le milieu. Comme religieux, il n’était pas bien accueilli par les paysans. « Les paysans nous disaient que les religieux ne vivent pas en milieu rural. Les religieux ont leur place dans les grandes villes. Ils nous qualifiaient de communistes et les macoutes d’alors nous avaient interdit d’aller auprès d’eux», explique-t-il, précisant qu’un incendie a été à la base du développement de sa relation avec les paysans. Sa congrégation a aidé les paysans à arrêter un incendie alors que ces derniers n’avaient pas trouvé de l’aide ailleurs. Tambour battant, les membres de sa congrégation devenaient un modèle pour les paysans. « Les paysans se disaient que si les gens de cette congrégation se mettent ensemble quoiqu’ils n’aient aucun lien de parenté, nous aussi, nous pouvons faire comme eux », explique-t-il.
Agissant par osmose, des petites organisations paysannes ont vu le jour. Leurs premières revendications, c’était d’avoir des écoles. La congrégation avait pris des années pour observer les gens avant de passer à l’action. « Aujourd’hui, nous comptons six écoles primaires facilitant la scolarisation de trois mille enfants ainsi qu'une école secondaire et technique, déclare le frère Francklin Armand. Ensuite, nous avons construit un lac collinaire dans la cour de la congrégation. Tout autour du lac, nous avons cultivé des légumes. Les paysans venaient acheter des légumes lors de la première récolte. Ensuite, nous avions décidé de ne pas vendre les légumes et du coup opter pour la construction d’un lac dans la communauté pour les paysans. Avant, les paysans nous considéraient comme des fous qui creusaient des trous d’eau. Nous avons procédé ensuite à l’ouverture d’une école agricole. Avec le succès des premiers lacs collinaires construits, nous avons décidé de multiplier d’autres lacs collinaires dans le Plateau central grâce à l’appui de l’Union européenne, de la FAO, de la coopération espagnole et du ministère de l’Agriculture. »
Au bout du compte, le programme de construction des lacs initié par le frère Armand est devenu Programme national des lacs collinaires (PNLC). « Quand sous la présidence de René Préval le gouvernement s’apprêtait à réaliser un programme de lacs collinaires, le chef de l’Etat a suggéré aux ministères de la Planification et de l’Agriculture de soutenir mon programme. C’est ainsi qu’il est devenu le PNLC », indique le religieux, ajoutant qu’aujourd’hui plus de 200 lacs collinaires sont déjà construits à travers tout le pays. « Nous avons construit à Saint-Michel de l’Attalaye le deuxième plus grand lac du pays après Péligre. « C’est un lac qui s’étale sur quatorze hectares à trente mètres de profondeur et avec deux millions de mètres cubes d’eau », précise-t-il en soulignant que les gens pratiquent la pisciculture et la culture maraîchère dans les communautés où sont construits les lacs.
Depuis quelque temps, le frère Francklin Armand met le cap sur la potabilisation des eaux au niveau des lacs. Le traitement se fait par ultrafiltration. Dans le Plateau central, son programme dispose d’un système à partir duquel il rend potable environ 53 mètres cubes d’eau par jour. Donc, selon M. Armand, il y a de l’eau potable disponible pour 5 000 personnes. Plus loin, il ajoute que le programme commercialise l’eau potable.
D’un autre côté, le fondateur des PFI et PSI a énuméré toute une série de réalisations additionnelles. « Nous avons créé une école d’entrepreneuriat agricole qui recrute chaque six mois 120 étudiants. Nous comptons aussi cent entreprises agricoles », a indiqué le frère Francklin Armand, dédiant sa plaque d’honneur aux paysans, à l’Eglise catholique et l’Etat haïtien qui supporte les congrégations autochtones.
Le Nouvelliste/Jeanty Gérard Junior