Quand l’expropriation du centre-ville fait de nouveaux sans-abri
Sinistrées par les récentes démolitions de résidences au centre-ville, « une centaine » de personnes se sont installées dans des tentes et des containers sur le site de l’ancien palais de Justice, dans des conditions exécrables. N’ayant pas les moyens de louer un appartement, ces personnes lancent un appel aux autorités en vue d’activer le processus de dédommagement et de prendre leur cas en considération.



Rue de la Réunion (Port-au-Prince). Il est presque 13 heures. Il fait une chaleur torride en ce début d’été. Chaque voiture qui passe, soulève un nuage de poussière. Sous un long container abandonné dans la lisière du site de l’ancien palais de Justice, une femme d’une soixantaine d’années lave quelques hardes. À côté d’elle, un adolescent roupille sur un morceau de carton, le visage couvert de sueur. De l'autre côté de la rue un terrain vague rempli de décombres des maisons fraîchement détruites. Tandis que derrière la sexagénaire, sur le site même de l’ancien palais de Justice, des personnes qui vivaient posément, il n’y a pas encore un mois, dans leurs maisons à la rue de la Réunion, entre autres, habitent dans des tentes ou des véhicules abandonnés. Là, le décor est plus que lamentable.
Dans des tentes faites de bâches trouées, à l’intérieur des camions ou des containers, les sinistrés étalent ce qui reste de leurs biens. Alors qu’un jeune garçon d’une vingtaine d’années dort mal, recroquevillé dans une brouette installée dans un camion stationné derrière lui, Domingueson Anglade, dit avoir payé son loyer à la rue de la Réunion une semaine avant la démolition. Il explique à Le Nouvelliste les raisons qui poussent les voisins et lui à vivre dans ces conditions. « Nous n’avons pas les moyens de louer un appartement, confie-t-il. L’État a rasé nos maisons sans dédommager les propriétaires ni nous donner du temps pour retirer nos bagages. Un beau matin, des gens de la mairie et des agents de la police accompagnés d’équipements lourds nous ont demandé de ramasser nos affaires, et quelques heures plus tard, ils étaient déjà en train de démolir nos maisons.
Beaucoup de gens ont perdu leurs bagages. Moi j’ai perdu mon lit, mon ordinateur portable et d’autres appareils de travail », explique Domingueson, croyant que si l’État dédommage le propriétaire, il pourra récupérer l’argent qu’il a dépensé pour louer la maison. « C’est du vagabondage », tempête de son côté Margagé Piquant, un autre ex-locataire qui dit avoir vécu 27 ans à la rue de la Réunion. Selon lui, « si l’État était sérieux, il demanderait aux policiers de sécuriser les biens des habitants pendant la démolition… » « Ils sont venus avec des pilleurs pour nous voler, renchérit M. Piquant. Lorsque j’ai fait appel aux agents du CIMO et du BIM, entre autres unités de la police nationale, qui étaient présents, ils m’ont dit que Martelly m’avait déjà dédommagé et que la maison ne m’appartenait plus. Ils m’ont aussi dit que si je pouvais récupérer quelque chose, je devrais le faire rapidement, car ils ne pouvaient rien pour moi. » Ex-commerçant et locataire à la rue de la Réunion, Margagé Piquant, « désormais ruiné », se voit déjà sans son business, car il sait qu’il pourra difficilement récupérer les « 10 500 dollars haïtiens versés pour son loyer, et ravoir son commerce ».
Mais même s’il a déjà loué une maison à Croix-des-Missions, il se rend chaque jour à son ancien quartier pour avoir des nouvelles de la situation. Il a vertement critiqué le président de la République, balayant au passage les parlementaires qui, selon lui, ne travaillent pas pour le peuple mais pour leurs intérêts mesquins. Si Margagé Piquant se résigne à tout perdre, tel n’est pas le cas de John Rocard Joseph, un jeune homme de plus d’une trentaine d’années qui vit dans un container avec sa famille composée d’une douzaine de personnes. Affirmant quíls résident tous à ladite rue depuis 58 ans, John Rocard indique que sa famille attend impatiemment le dédommagement, car, ajoute-t-il, son père avait déposé tous les papiers nécessaires chez le notaire Jean-Henry Céant comme demandé lors du processus d’expropriation. Critiquant lui aussi la manière dont les autorités ont procédé pour raser les zones déclarées d’utilité publique depuis la fin du mandat du président Préval, Joseph appelle l’État à dédommager lesw propriétaires au plus vite afin de sortir de cette situation déplorable. « Là où nous sommes actuellement il n’y a pas de vie, aucune infrastructure sanitaire, et nous sommes préoccupés par l’insécurité… », déclare-t-il, appelant le président Martelly à prendre leur cas en considération. Les édifices et résidences se trouvant dans les rues de la Réunion, de Saint-Honoré, du Champ de Mars et de l'Enterrement sont tous rasés, pouvait-on constater lundi.
Le Nouvelliste