Que dire de Port-de-Paix ?
Port- de-Paix. C’est l’histoire d’un soir. Furtif, fugace, sans attache. Le chef-lieu du département du Nord-Ouest n’épate pas. Comme ailleurs, vu du ciel, ses mornes chauves, ses piémonts bidonvillisés glacent les regards. Cela ne mérite même pas une larme. C’est ordinaire, ici où l’incurie des autorités publiques enfle les voiles de l’anarchie dans l’occupation des espaces.
Au sol, après l'atterrissage du bimoteur de Tortug Air sur un terrain vague traversé ce matin-là par deux mulets surchargés, un porc et trois motocyclettes, on comprend vite que le risque de crash est élevé. Dieu, ici, ne chôme pas. Il y a tant de drames à éviter. Au terminal (sic), avant une petite barrière métallique, sous un arbre, quatre chaises aux coussins pourris et cinq hommes, plus oisifs qu'entreprenants, regardent des "Blancs" embarquer.
Dehors, dans les rues poussiéreuses, balayées par le vent glacial de décembre, des motocyclistes imposent leur loi avant de buter quelques fois sur des piles de terre sortie des canaux d'irrigation. En logeant l'artère principale, la tentative de comparaison avec le vieux Cap-Haïtien se ramasse. Port-de-Paix n'a pas de particularité architecturale. Comme dans les piémonts bidonvillisés, le cœur de la ville bat dans le béton. Sans esthétique. Sur le littoral, la mer est furieuse. Ses vagues n'ont que des complaintes.
La ville a tourné le dos au grand bleu. Pire, la mer est devenue un dépotoir. Ses ressacs racontent les préférences gastronomiques des gens d'ici. Avant et après digestion. Les pelures de bananes, de patates...surfent parfois avec des excréments humains. Un peu plus au nord, à quelques mètres de trois hommes qui pêchent à la ligne depuis un récif, une adolescente défèque sur un pan d'histoire. Les murailles d'une fortification coloniale qui se sont effondrées récemment. A l'intérieur de ce fort oublié par l'ISPAN, on y a construit des latrines. Juste à côté de la poudrière. Des enfants, dans une suffoquante pestilence, jouent "au papa et à la maman".
Changement de décor. En face de ce littoral hideux, une bouffée d'oxygène: l'Ile de la Tortue. Des voiliers assurent la connexion entre les deux rives. En une cinquantaine de minutes, une chaloupe équipée d'un moteur de 40 chevaux déchire la mer d'un "bleu digo" jusqu'à cette île immortalisée par le film "Pirates des Caraïbes", réalisé par Gore Verbinski mettant en vedette Johny Depp. Sur les côtes de cette île mystérieuse, austère, il y a des familles de pêcheurs. Entre terre, soleil et mer, leur heures agonisent parfois sans un "waw". Ce qui est quasi impossible pour le visiteur de "Pointe-Ouest". Sur des dizaines de mètres, le sable blanc est parfois léché par la mer.
La mer, aquarelle, est tantôt bleu pâle, tantôt cristalline. Au-dessus d'elle, la chaloupe qui a jeté l’ancre semble être en lévitation. C'est à avoir le vertige, non pas par le rhum introuvable du capitaine Jack Sparrow, mais par tant de beauté. Sauvage, ce lieu a sa musique. Une composition difficilement harmonieuse entre le sifflement de la mer et le chant d'oiseaux rares. Sous un arbre, après l'expédition du capitaine Evens dans les marais salants des environs, un lit en tresses de cocotier offre le repos avant le retour sur Port- de- Paix où les cordons-bleus ne sont toujours pas sortis de l'école hôtelière ou de "Kay Mèt Terilien" pour faire tourner les cuisines dans au moins deux grands hôtels de la ville. A table, c'est plus une affaire de devoir que de plaisir. En revanche, la courtoisie, l'hospitalité des habitants de Port-de-Paix n'est nullement discutable. Comme dans d'autres régions enclavées, ils accusent le coup, doutent parfois de leur capacité à rebondir. Même si la voie du possible renouveau de Port-de-Paix sera éreintante, comme cette route "casse reins" qui le connecte aux Gonaïves.
Roberson Alphonse/Le Nouvelliste