La beauté des chansons folkloriques
Par Roland Léonard On se demande souvent si l’art n’incarne pas la mythique pierre philosophale des mages et alchimistes, capable de tout changer en or. En effet, en art plastique comme en littérature, en architecture comme en musique, n’importe quel matériau primitif et simple, ordinaire et populaire est susceptible de sublimation par les vertus du savoir-faire et de l’esthétique savante. Le dernier concert auquel nous avons assisté semble l’avoir prouvé. Le dimanche 10 novembre, dans une des salles de l’hôtel Royal Oasis, 115, avenue Panaméricaine, Pétion-Ville, la fondation Odette Roy Fombrun, ou FORF, a présenté le spectacle «Mélodies folkloriques pour voix, piano et contrebasse» animé par les artistes Karine Margron (soprano), Jaël Auguste (contrebasse), Micheline Laudun Denis (piano). C’était également une occasion en or pour la promotion et l’interprétation des œuvres compilées par Karine Margron et Julio Racine dans «Chansons d’Haïti» en trois recueils de partitions et paroles, avec un CD incorporé. Les arrangements de ces airs folkloriques pour voix et piano ou orchestre sont de Julio Racine. Mme Jacinthe Armand a fait office de maître de cérémonie.
La soirée comprenait deux parties avec des mots de bienvenue, des prises de parole et séquences explicatives, des dames Odette Roy Fombrun, Micheline Laudun Denis, Karine Margron et monsieur Dominique «Tido» Déjean. Des projections vidéo de courts extraits de concerts ont illustré leurs propos. En première partie, le programme comprenait : l’hymne national, «la Dessalinienne», joué en solo à la contrebasse par Jaël Auguste, on se mit debout pour la circonstance ; «Chango» interprétée par Karine Margron avec l’appui de Micheline Laudun Denis et de Jaël Auguste, en mineur, récitée et rythmée ; « Ti Zwazo», air traditionnel aux origines européennes à la fois savantes et populaires ; arrangé par Frantz Casséus et Julio Racine ; «N ap travèse, paroles et musique de Julio Racine, chanson néofolklorique, en mineur, au rythme évoqué au piano, avec un bel arpège final et un court commentaire de contrebasse ; «Latibonit», arrangé par Frantz Casséus et Julio Racine, avec un bon solo de contrebasse et de bonnes ponctuations du piano ; «Mèsi Bon Dye», chanson folklorique, version instrumentale et rythmée par le «kata» de la méringue populaire; «M ap ale kote yo konnen mwen», chanson folklorique arrangée pour le trio, en majeur et mi-rythmée, mi-récitée; finalement «Danza no 4» de Ludovic Lamothe, version pour piano et contrebasse, alternant les rôles dans la mélodie et son accompagnement.
Une entracte de dix minutes fut accordée et le concert reprit pour une seconde partie assez variée, assez différente de la première dans son programme, incluant des pièces instrumentales et des mélodies de musique classique européenne. On écouta successivement : le concerto en sol majeur D290 de D. Dragonetti, magnifique pièce pour contrebasse, dont le premier mouvement «allegro moderato» mit en évidence la grande virtuosité de Jaël Auguste ; « Deh vieni non tardar», aria de Susanna dans les Noces de Figaro»de Mozart où Karine Margron nous charma de sa belle voix empreinte de sensibilité ; «Libellule» de Ludovic Lamothe exécutée par Micheline Laudun Denis, pièce descriptive à figuralisme, exploitant à la main droite -avec des trilles et effets divers- les possibilités des registres aigus de l’instrument ; «Asòtò» de Frantz Casséus, arrangé pour le trio ; «Sole-o-Fè yon vèvè», chanson traditionnelle, dédiée à Emerante Despradine, présente dans l’assistance, pour sa version historique et inoubliable ; et finalement «Kanno ki tire», mélodie de Julio Racine sur le texte d’une chanson folklorique.
Le trio constitué de Karine Margron, Micheline Laudun Denis, Jaël Auguste a bien impressionné le public. Les arrangements de Julio Racine ont plu par leur art et leur manière faits de sobriété élégante. La vidéo a permis de visualiser des extraits de concerts : à l’étranger, à Caracas, où le «concertino pour clarinette et orchestre» de Julio Racine fut exécuté; en Bulgarie, où «Ti Do» Déjean dirigeait un orchestre soutenant Karine Margron, dans un Ave Maria de Louis Borno, musicien, a.k.a Francesco Luigi; en Haïti, au palais national, sous Paul Magloire, avec Micheline Laudun Denis dans un récital. Un bon concert ! De grands moments ! Roland Léonard