La décision du tribunal constitutionnel de la République dominicaine fait des vagues.

…et la saga continue.

Par : Robert Paret

Depuis la promulgation de l’arrêt du tribunal constitutionnel de la République dominicaine concernant la dénaturalisation des Dominicains d’origine haïtienne, le pays voisin est en ébullition. Cette décision soulève des controverses dans tous les milieux. Pas un jour ne passe sans que des commentaires n’emplissent les colonnes de la presse locale. Tous les secteurs du pays : politiques, sociaux et religieux se sentent concernés et obligés de se prononcer  sur ce qui parait être une prise de position pouvant avoir de graves conséquences sur l’avenir de la nation.

            Les juges du tribunal constitutionnel sont comme : « de beaux diables dans un bénitier », tant les remous se ressentent de l’intérieur, comme de l’extérieur. Malgré les contorsions de l’institution tendant à adoucir les effets de la mesure, par l’apport de dérisoires palliatifs en faveur des citoyens concernés, rien ne semble calmer les esprits. Plus des précautions d’apaisement sont envisagées, plus s’accentue le malaise. De ce fait, les prises de position divergent et se radicalisent, au point que certains citoyens se font réciproquement violence par des déclarations désobligeantes, allant jusqu'à déclarer : traîtres à la patrie ceux qui ne partagent pas leur point de vue. Le clivage paraît net entre, d’un côté, ceux qui croient que cette loi inique risque de compromettent les relations de leur pays avec une grande partie de la communauté  internationale et les organismes de droits humains, et de  l’autre côté, les ultranationalistes-extrémistes qui brandissent déjà des menaces de répression à l’endroit des illégaux haïtiens.

             Le problème est de savoir qui sont les illégaux et qui sont les nationaux ? Car le dilemme se situe, justement, dans l’ambiguïté d’une loi taillée sur mesure au préjudice d’une  catégorie d’individus, comme l’a dénoncé le journaliste Péruvien Mario Vargas Llosa dans son article « Los parias del Caribe », paru dans le journal « El PaÍs » du 3 novembre 2013. Où il écrit: «La sentencia del Tribunal Constitucional dominicano es una aberración jurídica y parece directamente inspirada en las famosas leyes hitlerianas de los años treinta dictadas por los jueces alemanes nazis para privar de la nacionalidad alemana a los judíos que llevaban muchos años (muchos siglos) avecindados en ese país y eran parte constitutiva de su sociedad . »  (1)

            Concernant l’épineux sujet, l’évidence d’un parti-pris raciste et xénophobe saute aux yeux de tout observateur lucide et impartial. D’ailleurs, l’Ambassadeur dominicain en Haïti, le sociologue Rubén Silié, n’a-t-il pas reconnu, lors d’une conférence prononcée  récemment en RD, que la société dominicaine a une inclinaison au racisme, façonnée par son évolution historique ? Dans un accent empreint de sincérité, il declara  « Cuando se habla de racismo en RD  no está institucionalizado y decimos que no somos racistas y en verdad  es porque no somos conscientes de que lo somos… no podemos saltar del racismo porque lo negamos, si negamos que tenemos un lenguaje y una práctica racista vivimos en un estado de alienación sicótica.” (2)

             En effet, comment comprendre que cet arrêt que l’on voudrait d’ordre juridique et constitutionnel, applicable à tous ressortissants étrangers résidant sur le territoire national, afin de réguler la politique migratoire de la Républiques dominicaine, ait eu comme référence chronologique l’année 1929 ? Alors qu’on sait que dans les annales des relations diplomatiques haÏtiano-dominicaines, cette date ne renvoie qu’à la signature d’un traité frontalier délimitant le territoire des deux Républiques se partageant la souveraineté de l’île. En quoi cette année fétiche peut-elle concerner  les immigrants : Chinois, Italiens, Allemands, Français et autres, installées sur  cette terre  de Kiskeya ? Les dispositions de l’arrêt seraient-elles susceptible de toucher d’une quelconque manière les descendants de ces étrangers, résidents, en transit ou illégaux,  ayant procrée en territoire dominicains ? Je peux affirmer avec force : que NON !

            Pareille certitude, attestant du caractère restrictif et sélectif de la mesure, peut même se vérifier pour une catégorie d’haïtiens. J’en veux pour preuve une anecdote dont m’a fait part un jeune couple de compatriotes qui ont vécu et étudié à Santiago (RD). Bien que antérieure à la décision juridique, elle se révèle  symptomatique des préjugés dominicains à l’endroit de certains types d’haïtiens. Ils m’ont appris que durant leur séjour dans  cette ville, ils avaient  mis au monde un enfant. Voulant obtenir les deux nationalités pour leur bébé, ils avaient entamé les formalités d’inscription au registre d’état civil de la ville, en vertu de la loi du « jus soli ». Ce qui fut vite fait, sans trop de complications. Avec complaisance et même, une certaine dérogation  aux règles prudentielles de l’Etat. Etonnamment, Le fonctionnaire  chargé de recueillir les informations des parents  avait, sans ambages,  porté sur l’acte de naissance du nourrisson: né de père et de mère  dominicains. Ils avaient obtenu ce «privilège » de l’Etat dominicain, du fait  qu’ils  étaient mulâtres et qu’ils ne dépareillaient du portrait   qu’on se fait généralement des dominicains. C’est dire que tous les compatriotes, résidant  en territoire voisin, n’ont ni le même traitement ni la même fortune. Serait-il abusif de dire que ceux qui sont frappés d’ostracisme, ne le sont que pour cause  de délit de faciès, dans un pays d’apartheid ?

            Vu sous cet angle, on comprend mieux le vrai mobile de cette mesure qui déclare ne pas reconnaître comme nationaux de l’Etat dominicain, tous les individus nés de parents étrangers (sous-entendu : Haïtiens), en transit ou en situation irrégulière  sur le territoire dominicain. Alors qu’on sait que les règlements migratoires dominicains n’accordent ce statut transitoire que pour une durée de 10 jours. C’est à se demander : sous quel statut vivent ces milliers d’immigrants Haïtiens  qui s’étaient engagés selon un contrat intervenu entre eux et les compagnies sucrières dominicaines pour la «zafra», et qui demeurent sur place au-delà de ce délai ? Certains depuis plus de vingt ans. D’autres depuis plusieurs générations. Pourquoi n’ont-ils jamais été reconduits dans leur pays, après la fin de leur contrat, avec la même diligence et les mêmes facilités qui leur avaient été accordées lors de leur arrivée autorisée par les autorités migratoires dominicaines ? Pourquoi avoir, de tout temps, facilité la venue de travailleurs illégaux, introduits par des « buscones » (chercheurs), sur demande des chefs d’entreprises ? D’où l’hypocrisie qui dissimule mal cette méthode d’exploitation inhumaine proche de l’esclavage. Quand on sait que la vie dans les bateys contraint les travailleurs à une existence de parias qui les obligent à demeurer dans une  extrême précarité durant une transition qui n’en finit jamais, on comprend mieux les raisons qui ont poussé Claude Julien à dénoncer cet enfer dans son livre : « Sucre amer ». Système savamment établi qui constitue une source inépuisable d’une main-d’œuvre à bon marché, corvéable à souhait, à la disposition d’une industrie qui rapporte gros et au service d’entrepreneurs dominicains qui investissent dans divers types de travaux : agricoles, industriels, de la construction, ect. Ce qui engendre, sur le territoire voisin, la présence de plusieurs générations  d’Haïtiens ou de  Dominicains d’origine haïtienne, pris au piège d’une exploitation éhontée. Par la force des choses, ils se sont vus dans l’obligation d’intégrer la société dominicaine par une citoyenneté d’emprunt ou par l’acquisition d’une autre nationalité de convenance reconnue par la loi dominicaine du « jus soli ». Toutefois, il convient d’admettre que cette communauté haïtienne ou d’origine haïtienne qui s’est installée en RD depuis plusieurs générations a grandement contribué à l’essor économique du pays, malgré les humiliations subies et la faible rétribution salariale. A ce titre, hommage devrait  leur être rendu pour leur courage, au lieu de les stigmatiser ou de les enfermer dans les oubliettes de l’ingratitude. Les ultranationalistes dominicains devraient leurs êtres reconnaissants.

            Dans ce dossier, tout frôle l’illégalité et l’immoralité. En vertu de l’article 10 de la constitution dominicaine, aucun droit acquis ne peut être remis en question. D’où le principe de la non-rétroactivité des lois, universellement admis. Ainsi, on comprend mal que des hommes et des femmes ayant la nationalité dominicaine, et qui ont participé à tous les niveaux à la vie : politique, économique et sociale de leur pays, soient ravis de leur droit de citoyenneté par l’application d’une décision injuste et discriminatoire. Pour comble de malheur, cette décision du TC fait poindre un scandale, à l’annonce récente du journaliste dominicain Luis Edouardo Lora (Huchide) de l’implication de l’actuel président du tribunal constitutionnel de la RD, el Señor Milton Ray Guevara dans « l’importation » de 29,000 travailleurs haïtiens en l’année 1979, lorsqu’il était fonctionnaire du gouvernement du présidente Guzman. Cynique et insatiable prédateur !

             Si on ajoute à ce climat confus les menaces d’une organisation de la société civile de la ville de Santiago qui accorde un délai de 90 jours, à partir du 13 novembre 2013, pour l’expulsion de tous les haïtiens illégaux résidant dans la zone, sous réserve de le faire par la force, on peut déduire qu’un nouveau génocide est en préparation. Ce que j’avais déjà signalé, au constat des indices, dans un précédant article publié dans le Nouvelliste du 4 et 5 novembre 2013.

            Malgré cet affront qui est fait aux haïtiens et dominicains d’origine haïtienne, notre pays d’Haïti garde avec fierté sa réputation de territoire d’accueil de tous les « damnés de la terre ». Malgré sa pauvreté Haïti demeure le berceau de la liberté où la dignité de l’homme n’a jamais été prise à défaut. Les milliers de dominicains installés sur notre sol n’ont jamais subi le déshonneur du mépris et de la honte, même lorsqu’ils  arrivaient les mains nues en quête de boulots, quand bien même leur réputation et leurs mœurs ne les recommanderaient à la  société. Ceux-là qui sont reconnaissants de notre hospitalité peuvent en témoigner !

                        Pèlerin novembre 2013.

Robert Paret- paretrobert@yahoo.fr

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  1. La sentence du tribunal constitutionnel dominicain est une aberration juridique et paraît directement inspirée des fameuses lois hitlériennes des années trente, dictées par des juges allemands nazis pour priver de la nationalité allemande les juifs qui avaient beaucoup d’années (plusieurs sicles) de présence dans ce pays et faisaient parties de la société. (déclarations du journaliste  PERUVIEN : Mario Vargas Llosa).
  2. Quand on parle de racisme en RD ce n’est pas institutionnalise et nous disons que nous ne sommes pas racistes et en vérité c’est parce que nous ne sommes pas conscients que nous le sommes…..Nous ne pouvons pas sortir du racisme parce que nous le nions, si nous nions que nous avons une langue et une pratique raciste nous vivrions dans un état psychotique. (déclaration de L’Ambassadeur Rubén Silié).

 

 

 

 



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