Les démarches du gouvernement dominicain dévoilent son malaise.
La Cour constitutionnelle de la RD persiste et signe.
Par : Robert Paret
Un proverbe haïtien traduit parfaitement l’attitude de la Cour constitutionnelle de la République dominicaine : « Fè wont sèvi kòlè ». Nulle autre explication ne saurait mieux convenir à cet entêtement dans l’incongru. Malgré la condamnation de tous les organismes de droits de l’homme et des organisations internationales de différentes vocations, rien ne semble ramener à la raison les juges de cette importante institution judiciaire. Relevant d’une si haute instance, la mesure déroute par son illégalité et son inadéquation. Elle est préjudiciable à l’Etat dominicain et entraîne le gouvernement dans une situation embarrassante d’où il aura du mal à sortir. La prise de position de la Caricom fustige cette décision et donne toute la mesure des difficultés auxquelles s’expose la RD sur le plan international et au sein de cette organisation régionale qu’elle aspirait à intégrer. De plus, cette disposition fait ressortir les répercussions négatives qu’aura son application sur l’économie du pays.
Il n’est plus besoin d’insister sur l’illégalité d’un tel arrêt, ni sur les controverses qu’il a soulevées tant l’ont démontrée, avec force détails, certains professionnels du droit international, de quelque bord qu’ils soient, du pays comme de l’extérieur. Sur place, seul un petit nombre d’ultranationalistes, contre toute logique, continuent de réclamer son application. Au grand dam d’une grande partie de la population qui le désapprouve.
Le jeu est d’autant plus cynique que les dés sont pipés. Nous l’avons tout de suite compris lors de la rencontre de Caracas où des représentants de l’Etat haïtien et ceux de l’Etat dominicain s’étaient réunis pour tenter de pallier les effets de la crise qui s’annonce. L’approche dominicaine a, de prime abord, fait ressortir l’aspect biaisé de la démarche qu’ils supportaient. Par une habile astuce, ces représentants voulaient faire remonter l’origine du conflit à un problème migratoire touchant des haïtiens vivant en condition d’illégalité sur le territoire dominicain. Alors qu’en fait le problème se rapporte à une situation d’injustice qui est faite à des Dominicains nés d’un père haïtien ou d’une mère haïtienne. D’où un contentieux dominicain, relevant uniquement de la souveraineté de l’Etat dominicain. Le problème ne touchant l’Etat haïtien que part la relation filiale qu’il maintient avec ces citoyens. Fort heureusement la diplomatie haïtienne ne s’est pas laissée prendre dans ce traquenard. Chapeau !
Autant dire que l’attitude de ces extrémistes écervelés risque de faire monter la tension entre les deux Etats et de mettre à mal les bonnes relations qui ont toujours existé entre les deux populations des zones frontalières, et bien au-delà. En attestent le bon commerce et les échanges qui se font régulièrement lors des marchés transnationaux des villes frontalières. Dans divers domaines et en maintes circonstances, ces communautés ont manifesté leur volonté de vivre en harmonie. C’est ainsi qu’une politique de bon voisinage s’est établie, depuis des générations, dans leur relation. Ce qui fait que les Haïtiens jouissent des services de santé et même d’infrastructures scolaires installés de l’autre côté de la frontière et n’inexistant pas chez eux. Il faut bien admettre que cette collaboration aide à pallier aux déficiences de l’Etat haïtien, même s’il faut déplorer que l’enseignement dont bénéficient les enfants se fasse seulement en espagnol. De leur côté, les voisins dominicains se procurent certains produits qui n’existent pas chez eux ou qui sont d’accès difficile sur leur territoire par la voie formelle. Il est vraiment navrant de constater que ces extrémistes veulent remettre en question ces rapports basés sur une parfaite collaboration qui, au-delà d’une certaine connivence, arrivent jusqu'à favoriser des hymens entre résidents des deux bords de la frontière, bousculant ainsi les barrières et les préjugés.
De mon côté, je peux affirmer sans ambages que j’ai eu à développer de sincères amitiés et une fructueuse collaboration avec certains citoyens et citoyennes dominicains durant les 45 ans pendant lesquels j’ai eu à fréquenter ce peuple. Mes relations dans les secteurs professionnels et intellectuels, empreintes de franchise et de respect mutuel, sont demeurées sans faille. Cependant, dans une telle situation et en fonction de l’intransigeance des actuels gouvernants Dominicains, le jeu force à couper. Nous ne pouvons rester indifférents face à l’affront qui nous est fait. Au delà de tout clivage politique, idéologique ou social, le peuple haïtien doit se tenir prêt, comme un seul homme, à relever le défit. Et pour cela des mesures s’imposent.
En conséquence certains redressements et corrections devraient être apportés dans nos relations avec la République dominicaine. Des résolutions doivent être prises au niveau de l’Etat haïtien et de la société civile haïtienne.
Des responsabilités de l’Etat Haïtien
Nous pensons que l’Etat haïtien doit s’impliquer résolument dans certains aspects des rapports le liant à l’Etat dominicain, pour la défense de ses propres intérêts, ainsi que de ceux de ses citoyens. Des actions à court, moyen et long terme doivent être envisagées, telles que :
- A court terme : Organiser et faciliter le rapatriement des Haïtiens désireux ou forcés de regagner leur pays. Les recevoir dignement et leur procurer toute l’aide nécessaire afin de réintégrer la société haïtienne. Obtenir des autorités dominicaines la garantie de protection pour ceux qui demeurent en RD. Renégocier certains contrats avec les firmes de construction dominicaines évoluant en Haïti, afin d’impliquer davantage les firmes et la main d’œuvre haïtienne dans les travaux de reconstruction.
- A moyen terme : Procéder au recensement de la population haïtienne vivant en RD. S’informer du statut de ses membres. Déterminer le lieu de résidence de chaque citoyen. S’informer de leurs activités. Leur procurer des documents légaux d’identification. Maintenir un contact permanent entre l’ambassade d’Haïti et citoyens haïtiens résidant en RD. Leur assurer aide et protection en cas de besoin.
- A long terme : Entreprendre pour les citoyens haïtiens résidant en RD les démarches légales en vue de leur parfaite intégration dans la societe dominicaine, tenant compte de leur statut.
Des obligations de la société civile haïtienne
Nous pensons que la société civile doit réagir par des actions conservatoires, en marquant sa désapprobation des mesures discriminatoires imposées aux Haïtiens vivant en RD.
- S’abstenir de voyager en RD tant que dureront les mesures discriminatoires à l’encontre de nos compatriotes vivant dans le pays.
- Ne pas consommer des produits dominicains en vente sur le territoire haïtien.
- Faire connaitre et dénoncer à travers les réseaux sociaux, sur tous les sites internationaux, l’arrêt de la Cour constitutionnelle de la RD.
- Exiger du gouvernement la négociation d’accords bilatéraux afin d’établir des échanges commerciaux équitables entre les deux Etats.
Ces considérations reflètent notre état d’âme et ne sauraient exprimer le sentiment de toute la collectivité haïtienne. En ce sens, nous pensons qu’un débat national ouvert devrait faire ressortir le point de vue des différents secteurs de la société. .
En cas de représailles de l’Etat dominicain, nous devons envisager des mesures pouvant nous permettre de contrecarrer en toute dignité les méfaits immédiats que causerait une telle réaction.
Le rapatriement massif de ressortissants haïtiens se trouvant en situation irrégulière nous parait peu probable, vu l’importance de la main d’œuvre haïtienne en RD. En cas de rapatriements ciblés, L’aide de la communauté internationale, par le biais de la Croix Rouge internationale et des organismes de droits de l’homme, pourrait être sollicitée.
L’arrêt de l’importation de produits alimentaires et autres provenant de la RD permettrait de s’orienter vers d’autres fournisseurs de la région : Le Venezuela en particulier et d’autres pays voisins en général. Nous osons même dire que l’Etat Haïtien en tirerait un meilleur profit, vu que la contrebande qui se pratique à la frontière terrestre serait mieux contrôlée au niveau des douanes maritimes.
Le problème des étudiants Haïtiens se trouvant en RD devrait connaitre un accommodement de la part des autorités dominicaines, du fait que la présence de cette communauté estudiantine rapporte à l’Etat dominicain la bagatelle de $ US 120.000.000/an. Somme qui est loin d’être négligeable pour les universités dominicaines. Si par stupidité, ou pour des raisons de sécurité, nos compatriotes étudiants se verraient dans la pénible obligation de discontinuer leurs études en RD, des parades efficaces pourraient être envisagées. Il s’agirait de les canaliser vers d’autres universités de la région : Porto-Rico, Mexique, comme cela se pratiquait dans les années 70, Vers certains pays de l’Amérique latine tels que : Cuba, Le Venezuela, La Colombie ect. L’université Antilles- Guyane demeure une option valable. Et au-delà du continent les universités africaines ou européennes offrent aussi d’énormes possibilités. La France présente l’avantage d’offrir des études sans frais aucun à des étudiants étrangers. En dernier recours, pour les parents qui le peuvent, les universités canadiennes et américaines sont accessibles.
Au delà de toute capitulation, des solutions existent. Que vive Haïti dans la dignité !
Pèlerin, novembre 2013.
Robert Paret- paretrobert@yahoo.fr
PS : Dans deux de mes précédents articles sur le sujet, j’ai eu à attribuer le titre
« Sucre amer » à Claude Julien, alors que l’inspiration est de Maurice Lemoine. L’auteur
Voudra bien m’excuser de cet impair.
Mapou-Haiti